Considérations esthétiques à partir des correspondances

Le blog Projections est un projet collectif créé à l’initiative d’étudiants en lettres modernes à la même université. Ils proposent des articles intéressants dans une interdisciplinarité. Il s’agit d’un bel exemple d’universitaires profitant de la diffusion permise par la plateforme du web pour se faire connaître et partager leurs connaissances dans un cadre convivial. Cet article témoigne de la rencontre possible entre les différents champs des sciences humaines, là où littérature et histoire de l’art peuvent s’enrichir mutuellement.

De plus, le blog est extrêmement rigoureux, comme en témoigne cette étude des correspondances de Van Gogh qui reprend les lettres qu’il a échangé avec son frère Théo: “Vincent Van Gogh, l’impossible embrasement – Considérations esthétiques au départ de la correspondance avec Théo” Chaque lettre est référencée et l’auteur propose même des indications de lecture pour un visiteur qui souhaiterait poursuivre ses recherches sur l’artiste.

L’auteur a un style très littéraire et se permet parfois des envolées lyriques: ” (…) la terre absorbe sans broncher les bouillons de sang du peintre qui, muet, la panse trouée, regagne l’auberge des Ravoux, place de la Mairie.[1]” mais cela ne rend la lecture que plus agréable et permet au visiteur du site d’être immédiatement interpelé par la sombre histoire du peintre. L’auteur parle du frère mort-né de Van Gogh un an avant sa naissance et duquel Vincent tira son nom. Il reconnait dans la correspondance de l’artiste un manque structural et incomblable qui ne guérira jamais, incarné selon le blogueur par le tableau La chaise de Vincent avec sa pipe dont nous avons déjà parlé. C’est par le travail du “réel” que  Van Gogh tentera de définir sa personne, la parole seule ne parvenant pas à exprimer sa béance.

Vincent's chair with his pipe, Huile sur toile,  93.0 x 73.5 cm. Arles, 1888, Source: http://www.vggallery.com/painting/p_0498.htm, (Consultée le 14 avril 2013)

Vincent’s chair with his pipe, Huile sur toile,
93.0 x 73.5 cm.
Arles, 1888, Source: http://www.vggallery.com/painting/p_0498.htm, (Consultée le 14 avril 2013)

Alors qu’on voit qu’il rêvait parfois d’une “vie idéale et pas réalisable”, on  voit que pour Vincent, vie artistique et vie mondaine font deux et ne sont pas compatibles. Cela rejoint ce que l’on avait vu lors de l’analyse des cyprès, ces arbres et lui se tenant à l’écart de la société. Il s’isola d’ailleurs dans la solitude, concentré sur ses recherches picturales. Il sera alors peu à peu marginalisé, ayant fait peut-être preuve de trop de zèle dans ses démarches pour rester au sein de toute communauté.

L’auteur interprète finalement les mutilations de Van Gogh comme la manifestation d’un rejet de sa chair qui devient handicapante dans ses recherches de définition ontologique de lui-même. Il rappelle ainsi un incident plus rarement évoqué, soit lorsqu’il aurait plongé sa main dans les flammes en 1881  puis 7 ans plus tard la section de son oreille. L’auteur ferme donc la boucle en reparlant du suicide évoqué au début du texte: ce serait donc la manifestation de son désir de tendre vers cette connaissance de lui-même empêchée par un attachement terrestre par le corps.


[1] Matthias De Jonghe, “Vincent Van Gogh: L’impossible embrasement”, Projections, 27 octobre 2011 [En ligne] Disponible sur http://revueprojections.wordpress.com/2011/10/27/vincent-van-gogh-limpossible-embrasement-considerations-esthetiques-au-depart-de-la-correspondance-avec-theo/, (Consulté le 14 avril 2013)

Van Gogh et le paysage

L’université de Providence aux États-Unis publie sur internet des travaux des étudiants, des journaux et des conférences et ce de manière gratuite et accessible à tous. Nous pouvons trouver sur leur base de données l’article The Cypress Trees in “The Starry Night”: A Symbolic Self-Portrait of Vincent Van Gogh”[1] rédigé par Jessica Caldarone, étudiante en histoire de l’art. Elle y analyse le fameux Nuit étoilée (1889) peint lors du séjour du peintre à Saint-Rémy. La forme du cyprès y serait particulièrement révélatrice, surtout en considérant la récurrence de ce motif dans différents tableaux. Nous pouvons donc trouver dans cette article une description formelle du tableau.

Vincent Van Gogh, 1889, huile sur toile, 73.0 x 92.0 cm, source: Google Art Project

Vincent Van Gogh, 1889, huile sur toile, 73.0 x 92.0 cm, source: Google Art Project

Les cyprès ne seraient généralement pas trouvées en pair dans la nature, alors que le peintre les représente souvent en paires. De plus, cette forme est peinte avec une touche plus allongée, moins fragmentée que le reste du tableau. On peut comparer cette œuvre avec Cyprès (1889) et Champs de blé avec des cyprès (1889) mais la touche semble toujours différer et s’adapter à l’ambiance générale du tableau.

Vincent Van Gogh, 1889, huile sur toile, 93.4 x 74 cm, réalisée à Saint-Rémy, Metropolitan Museum of Art, New York, Source; Metmuseum.org

Vincent Van Gogh, 1889, huile sur toile, 93.4 x 74 cm, réalisée à Saint-Rémy, Metropolitan Museum of Art, New York, Source; Metmuseum.org

Selon l’auteure, l’opposition entre la linéarité verticale des cyprès se dressant dans le paysage pourrait représenter la manière dont Van Gogh se distinguait de la société et du monde artistique de son époque. En effet, il peint cela alors qu’il se trouvait à l’asile, coupé du monde. Cette isolation était à la fois physique et psychologique, imposée par son état mental. Comme Vincent, les cyprès se tiennent loin de la ville et semblent l’observer. Les deux cyprès pourraient-ils évoquer une dualité dans sa personnalité?

“As a symbol, the larger cypress can be seen to represent Van Gogh during his episode of Illness, while the smaller cypress tree suggests Van Gogh while he is lucid.”[2]

Il aurait écrit dans une de ses lettres que rien ne pourrait le sauver sauver de ses crises, sauf peut-être la peinture. Les deux cyprès pourraient aussi évoquer la relation qu’il entretenait avec Théo, son frère, qui l’a énormément aidé dans une relation non réciproque.

Il décrit dans ses lettres les cyprès, qu’il trouvait en abondance autour de lui. Ces arbre étaient généralement associés à la mort, alors qu’un autre de ses motifs récurrents, les tournesols, sont associés à la vie. Les deux formes s’opposent tant formellement que symboliquement.

Il est intéressant de considérer dans cette analyse le paysage de manière plus global grâce à l’article de Angela Cozea: “Paysages extatiques vers l’au-delà[3]. Érudit.org est une base de données fondées en 1998 destinée à diffuser la recherche de manière libre et gratuite. Collaboration entre l’Université de Montréal, l’Université Laval (à Québec) et l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Érudit rassemble des revues canadiennes universitaires et culturelles.

Pour cette auteur, le paysage est un moyen pour Van Gogh de projeter sa propre mort dans un espace infini vers l’horizon et le tragique du monde étendu de manière verticale. Il confie dans une lettre qu’être tdans le paysage lui donne l’impression d’appartenir au monde, de redevenir lui-même loin de toute contrainte imposée par la société. L’auteur suggère que certains paysages sont porteurs de renaissance, tandis que d’autres peuvent être “porteurs de mort”. Le paysage fut pour lui un lieu de développement humain.

Par Marianne Breault


[1] Caldarone, Jessica, “The Cypress Trees in “The Starry Night”: A Symbolic Self-Portrait of Vincent Van Gogh” (2010).Art & Art History, Student Papers. Paper 3 DIsponible sur: http://digitalcommons.providence.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1002&context=art_students (Consulté le 24 mars 2013)

[2] Ibid, p. 8 En tant que symbole, le cyprès le plus grand peut être vu comme représentant Van Gogh durant ses épisodes de maladie, alors que le petit cyprès évoque Van Gogh lors de ses périodes de lucidité.

[3] « Paysages extatiques vers l’au-delà », Angela Cozea, Frontières, vol. 19, n° 2, 2007, p. 27-33 Disponible sur: http://www.erudit.org/revue/fr/2007/v19/n2/017494ar.pdf (Consulté le 24 mars 2013)

Vincent Van Gogh: The letters

Le Van Gogh Letters Project est une initiative du Musée Van Gogh d’Amsterdam ayant débuté il y a maintenant 23 ans, en 1990. Dans le cadre du centenaire de la mort de l’artiste, ils entreprennent de traduire entièrement les correspondances du peintre en anglais afin de les rendre accessible à un public plus large. L’idée était de rendre possible et stimuler la recherche autour du peintre, les traductions précédentes s’étant révélées souvent incomplètes. Ils s’associent donc avec la Huygens Institute of the Royal Netherlands Academy of Arts and Science afin de refaire entièrement la traduction et la compléter d’annotations pour chacune des lettres et une introduction. Leur mission: rendre accessible internationalement les correspondances, tout en s’assurant qu’elles témoignent de l’état actuel des recherches sur l’artiste.

En 2004, le constat des possibilités offertes par les médias numériques pousse les auteurs à choisir de publier leur travail sur le web. La plateforme permet selon eux de mieux répertorier la grande masse d’information rassemblée et offre au visiteur de choisir son approche des lettres, pouvant varier le classement.

Deux sites répertorient actuellement les correspondances: vangoghletters (site officiel du projet) et le site WebExhibits, qui propose les Van Gogh’s letters, unabridged and annoted dans le cadre d’un projet de musée en ligne sur divers sujet.

Van Gogh et la place des correspondances

“The letters are the window to Van Gogh’s universe*.

On ne pourrait nier ce que les gens à l’initiative du projet affirment: ces lettres offrent un accès exclusif à l’univers du peintre. Le site nous apprend que les premières correspondances datent de 1872, entre lui et son frère Theo Van Gogh. Bien qu’au départ assez formelles, elles nous fournissent des indices sur les préoccupations de l’artiste comme son amour de la nature. On voit aussi l’évolution, à partir de 1879, de sa ferveur religieuse. En effet, il fait de plus en plus de citations de la Bible dans ses écrits, qui devient pour lui une référence selon laquelle considérer la vie.Van Gogh devient avec les années moins réservé dans ses écrits, et c’est à ce moment qu’ils prennent toute leur importance pour les chercheurs. Nous pouvons y trouver des descriptions subjectives de ce qui l’entoure, sa décision de devenir peintre et surtout une expression sincère et pure d’un homme se confiant à son frère pour se délivrer de pensées qui lui pesaient trop souvent. Vangoghletters retrace la genèse de ce grand artiste, qui révèle dans ses écrits comment il a commencé à travailler le dessin à la craie et au crayon lithographique, ses tâtonnements, ses désirs d’être un peintre de paysan qui évolueront au peintre moderne que nous connaissons aujourd’hui.

C’est grâce à son frère Theo Van Gogh que nous pouvons aujourd’hui consulter ces lettres. Il a conservé consciencieusement toutes les lettres qu’il recevait, puis celles de sa mère. Les correspondances de certaines périodes restent introuvables et les auteurs suggèrent que ce pourrait être en raison de leur caractère intime ou qu’elles auraient été révélatrices des conflits existant entre le peintre et sa famille. Il était lui-même moins soucieux de conserver les écrits qu’il recevait.  La plupart de ceux qui existent aujourd’hui avaient été renvoyés à son frère.

*Les lettres sont la fenêtre menant vers l’univers de Van Gogh

Le mode de classement et de recherche

Une des forces du site du Van Gogh Museum est sans doute les différents types de classement proposés. L’internaute peut ainsi choisir entre un recensement des lettres par période, par auteur de la lettre, par lieu d’écriture et peut même choisir de ne voir que les lettre présentant des croquis, gribouillages de l’artiste. Ce type de classement pourrait convaincre les plus réfractaires à l’outil numérique: jamais un livre ne pourra être aussi souple dans son utilisation par le lecteur. Le site web s’adapte aux besoins de la recherche faite par le lecteur.

Nous pouvons ainsi sélectionner une période déterminée, par exemple celle allant de Janvier 1877 au 30 avril 1877, alors que Van Gogh se trouvait à Dordrecht. Le classement par présence de dessins ou non est plus difficile à maitriser puisque rien n’est subdivisé dans cette catégorie. Le lecteur doit donc savoir au préalable quelle période ou destinataire l’intéresse et voir éventuellement s’il existe une lettre comportant des esquisses.

Exemple de classement par période

The letters py period, capture d’écran de Vincent Van Gogh, the Letters, disponible sur http://vangoghletters.org/vg/by_period.html, consulté le 15 mars 2013

Le moteur de recherche est lui aussi très fonctionnel, nous permettant d’accéder très rapidement à une lettre dont nous connaissons déjà le numéro. Les options avancées sont aussi très poussées et versatiles: recherches dans les annotations, le texte, la bibliographie ou encore une référence biblique, à une œuvre, à un de ses contemporains, etc.

La présentation des lettres

letters2

Affichage simultané de la version traduite du texte et de la numérisation, capture d’écran de Vincent Van Gogh, the Letters, disponible sur http://vangoghletters.org, consulté le 15 mars 2013

Affichage des annotations sur le texte, capture d’écran de Vincent Van Gogh, the Letters, disponible sur http://vangoghletters.org, consulté le 15 mars 2013

L’équipe derrière le projet du Van Gogh Museum a su mobiliser de manière impressionnante le support numérique. Il est possible de consulter chaque document de diverses manière sur un interface double. Ainsi, l’internaute a accès à une traduction en anglais de la lettre, le texte original en néerlandais, une numérisation, le texte original repris ligne par ligne et finalement les œuvres qui y sont associées. Il pourra mettre côte à côte les deux versions qu’il désire consulter, le tout dans un environnement très intuitif. Il est possible d’agrandir les images et le procédé est rapide et cela malgré une grande qualité.

Une alternative: Van Gogh Letters, unabridged and annoted par Webexhibits

Le site WebExhibits est moins versatile au niveau du classement des lettres mais présente une possibilité intéressante. L’intérêt de celui-ci se trouve dans le fait qu’ils aient créé plusieurs catégories thématiques de Tags. Ainsi, en sélectionnant par exemple Agoraphobie, plusieurs lettres sont proposées et les passages pertinents pour le tag choisi sont mis en surbrillance. Il devient donc extrêmement facile de trouver un propos de Van Gogh qui illustre ce que l’on souhaite démontrer, ce qui est particulièrement intéressant pour les étudiants et les chercheurs.

Au-delà de ce système, le site reste très annexe par rapport à la mine d’or qu’est le site originel du projet. Plusieurs lettres sont manquantes, seul le texte traduit en anglais est proposé et cela sans image. Le moteur de recherche est très limité (impossible de chercher une lettre précise en ayant la date par exemple). Quant aux annotations promises par le titre, le lecteur sera forcé de constater qu’il n’y en a aucune! En somme, vu la grande qualité du site web Van Gogh Letters, l’entreprise de WebExhibits devient presque obsolète.

Nous avons donc été impressionnées par la grande qualité et l’ampleur du projet déployé  autour des correspondances de Van Gogh. Il est rarement possible d’accéder à autant de sources premières sur un artiste, et ce de manière complètement gratuite et accessible. Au-delà d’une simple banque de données de documents graphiques, le musée est allé jusqu’à rendre accessible toute la recherche développée autour de ces derniers et une version numérique des volumes qu’ils pensaient publier au départ. L’outil est précieux et permet de se rapprocher de manière de l’intimité du peintre au fil des années et de rapprocher éventuellement ces observations de ce qu’il a peint à la même époque.

Par Marianne Breault_____

Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker, Vincent Van Gogh The Letters, [En ligne], Disponible sur http://www.vangoghletters.org/vg/, (Consulté le 3 mars 2013)

Micheal Douma (dir.), “Van Gogh’s Letters”, Webexhibits, [En ligne], Disponible sur http://www.webexhibits.org/vangogh/, (Consulté le 3 mars 2013)